Socialement, le zombie reflète notre peur de l’effondrement de l’humanité et de la société provoqué par l’homme lui-même.

C’est au cœur des images horrifiques de Hiroshima, de Nagasaki et de l’Holocauste que la chercheuse Angela Becerra Vidergar situe la naissance du zombie. Après la Seconde Guerre mondiale, il est désormais impossible pour l’Homme, frappé par sa propre violence et terrifié par une guerre atomique, d’imaginer le futur de l’humanité aussi positivement qu’il le faisait lors de la Révolution industrielle ou du Siècle des Lumières. Dans ses travaux de recherche, « Fictions of destruction: Post-1945 Narrative & Disaster in the Collective Imaginary », elle explique que la figure du mort-vivant, combiné à notre « fixation culturelle à fictionnaliser notre propre mort », aide l’Humanité à supporter émotionnellement la possibilité d’un destin commun tragique et à panser les blessures des atrocités de la guerre.
En 2014, l’idée est la même : le zombie, et la post-apocalypse qu’il suggère sont une façon pour l’humain de se rassurer, d’envisager la manière dont il réagira lorsque le monde s’effondrera. Des séries télévisées comme The Walking dead, explique la chercheuse, permettent aux spectateurs, par identification aux personnages, de se poser des questions éthiques et de réfléchir à leur capacité à survivre : jusqu’où pourraient-ils aller en cas d’apocalypse et d’effondrement de l’ordre social?
Face au zombie, l’humain cherche à se prouver qu’il existe. Et plus fort encore : qu’il existera!

S’ils sont si populaires, c’est en définitive très simple : les zombies représentent les risques et les dangers de la société, et, « en dernière instance, résume-t-il, ils sont la société ».

Le géographe et spécialiste des mouvements sociaux, Bruno Massé, va encore plus loin dans « L’enfer c’est les z’autres : le zombie (a)politique », issu du récent essai collectif Angles Morts, différents regards sur le zombie. Il ajoute qu’à l’heure où l’on assiste à une « sixième extinction massive de la planète », avec la problématique d’un réchauffement climatique toujours plus inquiétante et la disparition d’une « centaine d’espèces par jour », le zombie symbolise « le résultat de la trajectoire morbide, cet amoindrissement, cette réduction qualitative de la vie et de la liberté ». L’Homme qui continue bêtement ses activités, sans réaction aucune, projette dans la figure des zombies ses propres craintes quant au monde qu’il est en train de détruire. Constat similaire chez Vincent Paris, dans « Le zombie comme portrait d’une société sans hommes : l’angle mort que l’on ne saurait voir ». Il interprète le zombie comme « un appel au secours » de l’Homme face à sa possible extinction. « Le zombie est, du point de vue de la société, une tentative de suicide. Comme si la société, de façon analogique, se plaçait elle-même au bord du gouffre afin de mieux assurer par la suite sa survie », écrit celui qui enseigne la sociologie au Cégep de St-Jean-sur-Richelieu.
S’ils sont si populaires, c’est en définitive très simple : les zombies représentent les risques et les dangers de la société, et, « en dernière instance, résume-t-il, ils sont la société ».

Politiquement, le zombie annonce l’échec du capitalisme et du consumérisme

Lorsqu’il observe ses « congénères de la station Square-Victoria » à Montréal, l’économiste indépendant Ianik Marcil y voit des « zombies du capitalisme ». Dans son texte « L’Ouvrier, les bras ballants », issu de l’essai Angles Morts, différents regards sur le zombie, il avance l’idée d’un capitalisme qui fait des femmes et des hommes contemporains des « zombies à l’esprit vide, réagissant mécaniquement aux stimuli médiatiques et au chant des sirènes du crédit facile ». Selon Kyle William Bishop, auteur de l’excellente thèse « Dead Man STILL walking : A critical investigation into the rise and fall… and rise of Zombie Cinema », les zombies sont « les métaphores des consommateurs hypnotisés et aveugles ». Il prend pour exemple le film Dawn of the dead du célèbre George A. Romero.

Selon Slavoj Žižek, philosophe et psychanalyste slovène, l’Homme moderne est même tellement incapable de se représenter la fin du capitalisme qu’il lui est plus facile de s’imaginer une véritable fin du monde, quelle qu’elle soit!

Dans cette œuvre de 1978, les survivants trouvent refuge dans un centre commercial, symbole parfait du capitalisme et de l’ère consumériste. Comme le décrit Bishop, ils peuvent alors se vautrer à loisir dans une vie de fantasme capitaliste : jouir d’une consommation sans limites, délestés des fardeaux que sont le labeur et la production. Le problème? Leur isolation se fait plus grande à mesure que le film avance. Les protagonistes, sans défi ni but, se retrouvent confrontés à l’échec de leur nouvelle société. « Le centre commercial est doublement artificiel, écrit Bishop, il représente à tort un mode de vie réconfortant alors qu’il n’a offert, et ce, dès le départ, aucun réconfort ».
Selon Slavoj Žižek, philosophe et psychanalyste slovène, l’Homme moderne est même tellement incapable de se représenter la fin du capitalisme qu’il lui est plus facile de s’imaginer une véritable fin du monde, quelle qu’elle soit!
Pourtant, le capitalisme n’est qu’un leurre (chez Romero et ailleurs) : les survivants « consomment les biens et les services fournis par le centre commercial uniquement parce qu’on les a dressés à croire que cela les rendrait heureux », détaille Bishop. L’homme consommateur se mue en ce ‘zombie post capitaliste’ qui hante le cinéma depuis la fin des années 70. C’est ainsi que toute la société se voit dévorée — des autorités institutionnelles (police, armée, politiciens disparaissent, ou pire, n’ont plus aucune morale : pensons à 28 jours plus tard de Danny Boyle), à tout ce qui représentait une cohésion, ou un groupe en qui croire (famille, communauté religieuse ou d’idées). La famille, cette belle idée capitaliste, est d’ailleurs ce qui implose en premier : ce sont toujours nos parents, nos enfants, nos frères et nos sœurs qui se transforment en premier, prêts à nous dévorer. Dans Dawn of the dead, l’échec de leur société reconstituée (leur néo-capitalisme, encore, incapables qu’ils sont de voir une alternative, comme le dit Žižek) est, par effet miroir, l’échec annoncé de notre propre et actuelle société de consommation.
Point de hasard donc, si les premiers Indignés, dans les manifestations en 2011, se déguisaient en zombies… de la finance!