À l’occasion de la semaine mondiale des Sourds – un évènement de sensibilisation à la culture sourde et à la langue des signes –, qui a eu lieu du 21 au 27 septembre 2014, la parole a été donné majoritairement à des entendants.

Mais de quoi parlez-vous? De nous?

La semaine de sensibilisation à la culture sourde et à la langue des signes, qui a eu lieu du 21 au 27 septembre 2014, s’est bouclée par la Journée Mondiale des Sourds (JMS) dont le chapitre québécois se tenait cette année à Victoriaville. Quelques centaines de Sourds et alliées y ont marché pour revendiquer notamment une société plus inclusive et moins discriminatoire à notre égard, ainsi que la reconnaissance de la langue des signes québécoise (LSQ) comme c’est déjà le cas ailleurs dans le monde, où certains pays ont officiellement reconnu leurs langues des signes. Événement rassembleur célébré annuellement le dernier samedi de septembre dans plusieurs pays depuis plusieurs années, la JMS a enfin attiré l’attention particulière de certains médias, au grand plaisir de la communauté sourde. Cependant, force est de constater que la majorité des personnes interviewées ont été des entendants : Yves-Étienne Massicotte et Suzanne Villeneuve à l’émission PM ou encore Véronique Poulain à Ici Radio Canada ont certes livrés des entrevues fort pertinentes. Mais là n’est pas la question.

Donner la parole : Quelles voix comptent?

La voix revêt une importance politique significative. Bien plus que le son émis par la parole : elle signifie ce que l’on dit sur notre façon de vivre et de considérer le monde, nos opinions, nos idées, etc. La voix en tant que prise de parole est un outil important non seulement pour émettre des opinions et des réflexions, mais comme moyen d’exiger une reconnaissance sociale. Pour les groupes sociaux historiquement minorisés, s’affirmer socialement et politiquement est un acte fondamental. Le hic, c’est que la langue des signes, on l’exprime avec nos mains ; la voix des Sourds, elle est signée. Est-elle passée sous silence parce que non vocale? Ou parce que les préjugés sur le silence des Sourds ont atteint la représentation qu’on se fait de notre capacité à parler pour nous-mêmes? Il semble que ces préjugés sur notre mutité soient tenaces.

Essayez d’imaginer un peu : une semaine de sensibilisation aux enjeux féministes (par exemple, la semaine de commémoration de la tuerie de Polytechnique) durant laquelle les principaux porte-voix seraient des hommes ou encore un événement sur la culture autochtone où il n’y aurait que des blancs à prendre parole.

Les mouvements féministes et antiracistes ont insisté sur l’importance de l’autoreprésentation. Plusieurs transformations sociales au fil du temps nous permettent aujourd’hui de reconnaître l’importance de donner la parole aux personnes minorisées quand il est question de leurs réalités et des enjeux qu’ils vivent. Dans la même veine, les communautés sourdes ont critiqué à maintes reprises le fait que depuis trop longtemps, la forte majorité des études, des décisions politiques et de la couverture médiatique concernant les Sourds sont menées par des entendants. Ce n’est pas tant que les perspectives entendantes ne reflètent pas nécessairement les nôtres, mais qu’en parlant en notre nom, cela ne permet pas toujours d’aller au-delà des clichés et de l’exotisation du « langage » des signes et de notre « silence » pour aborder les enjeux qui nous préoccupent réellement et nous empêchent de participer à la société sur un pied d’égalité avec les entendants.

Les médias qui ont interviewé des entendants au sujet de la semaine mondiale des Sourds et de la production de l’Office National du Film Les mots qui dansent lancée à cette occasion ont-ils seulement pensé un instant à inviter des Sourds à s’exprimer? Et pourquoi donner tant d’importance au corps médical qui considère la surdité uniquement comme un trouble à réparer à tout prix, alors que tant de Sourds arrivent dans la communauté sur le tard, en désarroi de ne pas avoir été mis en contact avec le milieu auparavant?

Certes, quelques journalistes nous ont accordé quelques lignes dans leurs articles… malgré ce que nous considérerons comme quelques coquilles : « langage » des signes (on dit pourtant bien la langue française et non le langage français), « sourd-muet », etc. Pourtant, pour nous entendre, nous écouter, les entendants qui ne signent pas doivent simplement recourir à un interprète qualifié. Si prêter oreille à une parole, à une voix, signifie de la considérer, le recours à des services d’interprétation afin de nous passer le micro serait un geste bien apprécié, d’autant plus quand vous parlez de nous. Sinon, nous finirons par croire que vous nous faite la sourde oreille.