Il s’avère en effet difficile, après les événements de Saint-Jean-sur-Richelieu, puis d’Ottawa, de s’y retrouver à travers la foultitude d’informations concernant les « attentats » eux-mêmes et les motivations de leurs auteurs, qui sont pourtant au cœur du débat puisqu’elles caractérisent la nature même de leurs actes.

Longtemps, l’Occident a été habitué à combattre des organisations terroristes qui déployaient leurs réseaux en envoyant des recruteurs former, puis organiser, les filières terroristes qui frappaient les pays occidentaux, tandis qu’un message de revendication dûment estampillé de la « marque » de l’organisation était envoyé aux autorités. Personne n’aurait alors songé à s’interroger sur la nature « terroriste » des actes perpétrés.

Les 20 et 22 octobre dernier, ce sont deux jeunes Canadiens qui se sont attaqués à des soldats, l’un avec une automobile et l’autre avec un fusil, avant d’être tous les deux abattus par les forces de l’ordre. Malgré les éléments dont disposaient les policiers dans le cas de Martin Couture-Rouleau, l’auteur de l’acte de St-Jean-sur-Richelieu, il n’a pas été possible de déjouer ce qui nous a alors été présenté comme une action décidée de façon quasi impulsive. Michael Zehaf Bibeau, l’auteur présumé de l’attentat d’Ottawa, ne faisait quant à lui l’objet d’aucune enquête, et les motivations de son geste restent encore très floues, même si la Gendarmerie royale du Canada (GRC) nous annonce de nouveaux éléments qui seraient de nature à les expliquer.

Avant même que l’enquête ne débute, Stephen Harper qualifiait l’attaque menée par Martin Couture-Rouleau d’acte de terrorisme, posant ainsi sur ce geste la marque indélébile d’une action liée au djihad mondial

Avant même que l’enquête ne débute, Stephen Harper qualifiait l’attaque menée par Martin Couture-Rouleau d’acte de terrorisme, posant ainsi sur ce geste la marque indélébile d’une action liée au djihad mondial et aux actes barbares des terroristes de l’État islamique. Martin Couture-Rouleau s’était bel et bien converti à l’islam, et il a revendiqué son acte au nom d’Allah par un appel téléphonique au 911. Pourtant, la plupart de ceux qui ont parlé avec lui sur Internet le décrivent comme un individu qui tenait des propos tellement caricaturaux qu’on aurait pu le prendre pour quelqu’un qui se faisait passer pour un musulman extrémiste.

Pour sa part, Michael Zehaf Bibeau semblait en pleine désocialisation, vivant depuis plusieurs semaines dans des refuges pour sans-abri, après avoir sombré dans l’enfer de la drogue dont il avait souhaité s’extraire en voulant même être emprisonné. L’homme désirait quitter le Canada pour se rendre en Arabie Saoudite, ce qui ne fait pas de lui un terroriste pour autant, et son comportement erratique des derniers jours avant l’attaque laisse la désagréable impression qu’on lui fait porter un costume de terroriste un peu trop grand pour lui.

Pour aller plus loin

Les deux hommes ont pourtant en commun d’être les auteurs présumés d’attaques mortelles commises contre deux militaires canadiens, peu de temps après que le 21septembredernier le groupe terroriste État islamique ait appelé à s’en prendre aux représentants des forces de l’ordre et aux soldats canadiens par tous les moyens possibles et imaginables. On ne peut donc contester que leurs actes violents s’inscrivent d’une façon ou d’une autre dans cet appel au djihad terroriste de la part de cette organisation qui supplante Al Qaïda dans l’exercice de la terreur.

La véritable question est de savoir dans quelle mesure et de quelle façon ces actes doivent être inscrits dans la continuité de cette menace. Au-delà des cas de Martin Couture Rouleau et Michael Zahef Bibeau, il faut avant tout tenter de comprendre si nous assistons à un véritable changement de paradigme en matière de terrorisme, ou si nous venons simplement de vivre une terrible et malheureuse succession d’actes dont la brutalité nous aveugle au point de conclure un peu hâtivement au terrorisme religieux.

Dans une série d’articles qui prendront chacun le sujet sous un angle différent, Ricochet tentera de faire le tour de ces questions et de mettre des mots sur ces actes qui demeurent, pour la grande majorité d’entre nous, incompréhensibles.

L’enjeu est de taille, car il s’agit du sens même de la définition du terrorisme à laquelle les actes des deux hommes viennent de nous confronter. Pour aller plus loin et essayer de mieux comprendre les enjeux de ce nouvel ordre criminel, seule une approche de la question sous différents angles pourra nous éclairer sur ce que nous venons de vivre et de ce qui pourrait suivre.

Stéphane Berthomet