Après que l’opinion publique ait vivement dénoncé le « puritanisme » derrière cette décision, voilà que le collège a fait volte-face (cinq jours plus tard), et tend la main à Mme Laurent-Auger pour l’accueillir de nouveau dans son établissement. En tant qu’anciennes étudiantes du Collège, c’est surtout la culture sexiste que révèle cette histoire que nous aimerions dénoncer ici.

Nous avons appris dans un communiqué que, « Parallèlement à cette démarche, la direction du Collège compte lancer un chantier de réflexion sur la sexualité, les plateformes numériques et les réseaux sociaux en milieu éducatif. Cet exercice s’inscrit dans le rôle de premier plan que le Collège a toujours joué en matière d’éducation au Québec et s’insère dans un débat de société dont on ne peut manifestement plus faire l’économie. »

Bien que l’idée d’ouvrir une réflexion sur la sexualité soit excellente et même primordiale, nous avons néanmoins quelques doutes sur l’approche qui sera utilisée, à la lumière de cette affaire et de notre propre expérience dans cette école. Puisque la direction s’est dite prête à « recevoir avec intérêt les commentaires et suggestions des personnes préoccupées par ces questions », nous leur proposons ici quelques concepts qui pourront servir d’outils pour l’enseignement d’une sexualité réellement égalitaire, et dont les définitions sont facilement accessibles. En voici quelques-unes:

Slut-shaming : « Expression, traduisible en français par « intimidation (ou humiliation) des salopes », regroupe un ensemble d’attitudes individuelles ou collectives, agressives envers les femmes dont le comportement sexuel serait jugé « hors-norme ». Le slut-shaming consiste donc à faire se sentir coupable ou inférieure une femme dont l’attitude ou l’aspect physique serait jugé provocant ou trop ouvertement sexuel, qui cherche à se faire avorter, ou même qui a été violée. »

« Concrètement, c’est votre camarade de classe qui raconte à tout le monde qu’une telle est « une vraie salope » parce que c’est elle qui l’a dragué pour qu’il finisse dans son lit. »
L’affaire Jacqueline Laurent-Auger est un parfait exemple de Slut-Shaming, notion qui véhicule l’idée selon laquelle le sexe serait dégradant pour les femmes. Au lieu de condamner les actes des deux garçons ayant malicieusement diffusé les vidéos, c’est l’enseignante qui a été remerciée. Est-ce qu’un employé masculin aurait eu droit au même sort?

Male gaze : « le fait, pour les femmes, d’être soumises en permanence au regard hétéro masculin et d’être jugées selon leur apparence » .

Jeunes filles, il n’était pas de tout repos d’évoluer dans cette institution traditionnellement et majoritairement masculine. Nous avons toutes pu expérimenter les commentaires déplacés de nos camarades de classe à l’époque. Nous avons toutes au moins une fois eu la désagréable impression d’être réduites à notre enveloppe corporelle, soumise aux commentaires et aux jugements de nos homologues masculins.

Un problème plus large

Que les garçons puissent en toute impunité commenter le physique ou la sexualité des filles et des enseignantes, que ce soit l’actrice d’un film classé X qui soit punie et non ceux qui le consomment en dit long sur la culture de notre ancienne école. L’affaire Jacqueline Laurent-Auger prouve que le sexisme et le machisme ne sont pas des produits de la culture populaire ou d’un manque d’éducation. Ils sévissent au cœur même de nos institutions les plus élitistes.

L’affaire Jacqueline Laurent-Auger prouve que le sexisme et le machisme ne sont pas des produits de la culture populaire ou d’un manque d’éducation. Ils sévissent au cœur même de nos institutions les plus élitistes.

Évidemment, notre ancien Collège n’a pas le monopole de cette culture qui fait des ravages dans de nombreuses écoles du Québec. Les concepts illustrés plus haut, dont la gravité et les répercussions doivent être discutées avec les jeunes pour les conscientiser, ne sont qu’un aperçu d’une problématique beaucoup plus large.

Combien de jeunes filles ont des relations sexuelles avec plus ou moins de consentement aujourd’hui, ayant intériorisé pendant des années le fait que leur corps ne leur appartenait pas tout à fait? Quand allons-nous enseigner aux garçons qu’ils n’ont aucun droit sur le corps des filles, et que ces dernières peuvent retirer leur consentement avant et pendant une relation sexuelle? Combien d’adolescentes souffrent du poids qu’on accorde à leur apparence? Quand les filles pourront-elles s’éduquer et s’épanouir à l’abri de cette pression qui repose sur elles? Nous espérons que le futur « chantier de réflexion sur la sexualité » abordera toutes ces questions. Il est grand temps que la sexualité soit enseignée dans les écoles et que la promotion de l’égalité homme-femme soit au cœur de cette réflexion.

Ont signé des anciennEs du Collège Jean-de-Brébeuf, et leurs alliés de la communauté :

Raphaëlle Corbeil, journaliste et candidate à la maîtrise en sociologie
Sandrine Chauveau, étudiante en Sciences Infirmières
Emmanuelle Lane, monteuse
Véronique Samson, candidate au doctorat en lettres
Marianne Simard, éducatrice à l’enfance
Marie-Pascale Dubé, réalisatrice
Mylène Mackay, comédienne
Anne Blouin
Marie-Andrée Boutin-Clermont
Laurence Burton
Lena Cyr-Haschigk
Jeanne B. Bryan
Catherine Legault
Naïké Halin-Geritzen
Paul Dumais, ancien enseignant au Collège Jean-de-Brébeuf
Geneviève Bastien, promotion 2000
Rachel Desbiens-Després
Arash Maleki, ancien de Brébeuf
Nicolas Lapierre, ancien de Brébeuf
Étienne Desbiens-Després, Maitrise science politique, ancien de Brébeuf
Brice Dansereau-Olivier, ancien de Brébeuf
Julien Corrado, Conventum 2000-2007
Marion Cyr
Edith Jorisch
Laurence De Breyne
Gabrielle Bastien
Natasha Drouin-Beauregard
Stéphanie Bélanger, promotion 2006
Marie-Christine Monchalin, promotion 2000
Marie-Ève Julien, Promotion 2006
Eliane Vinet, M.A. en Traduction
Aude Bastien, promotion 2007
Vincent Dostaler-Tarte, Conventum 1999-2006
Bruno Joyal, candidat au doctorat en mathématiques
Fabienne Sacy
Julien Williamson
Marion Brodeur-Laperrière
Philippe Gagnon – Styrczula