J’aurais voulu écrire sur les coupures en éducation. On le sait, c’est par l’éducation qu’on réussit le mieux à promouvoir la mobilité sociale, et le taux d’analphabétisme fonctionnel de nos concitoyens est trop élevé. J’ai pensé écrire sur Ebola. Plusieurs pays vivent avec la pire épidémie du virus depuis longtemps, mais ce n’est que lorsque l’Occident est touché, marginalement, qu’on se met en mode solution. Et il y a les médias, qui poursuivent tout parfum de scandale sans nécessairement mesurer l’impact de leurs mots.
Puis, il y a eu un homme qui a foncé sur des militaires avec sa voiture. Puis il y a eu des tirs au Parlement. Et tout d’un coup, je n’ai plus eu envie de parler de quoi que ce soit. Et de toute manière, les yeux rivés sur Twitter qui, en temps réel, me raconte tout, me dit comment tous et toutes se sentent, me lance conjecture sur conjecture… Est-ce vraiment le temps de dire quoi que ce soit? À part que c’est déstabilisant, perturbant et angoissant quand il y a une tuerie, et encore plus quand plusieurs ami-e-s sont dans le périmètre concerné?
Alors je vais prendre le conseil d’une amie et écrire sur le beau. Sur le bon. Sur le fait qu’il y a encore plein de belles choses dans ce monde. Je ne parle pas seulement de vidéos de chats, de dessins de licornes ou de photos de bébés heureux. Tout ça, c’est du bonheur facile. Je parle des personnes qui mettent ces images dans notre tête, de celles qui nous prennent dans leurs bras quand on va mal ou quand on va bien, de celles qui font qu’on a envie d’être meilleure, parfois sans même qu’on se soit rencontrés, de celles avec qui on se donne le droit d’être faible. Dans la vie, il n’y a rien de plus beau que les autres. Oui, l’enfer, c’est eux. Mais le paradis aussi.
Pour moi, il y a quelque chose de merveilleusement confortable dans le « nous ». Pas le « nous » exclusif, mais un « nous » douillet à géométrie variable où, dans l’incertitude, on inclut le plus de personnes possible. Le « nous » où on ne se retrouve pas seule, où on reconnaît dans l’autre l’humanité qu’on s’accorde soi-même. Ce même « nous » qui nous amène à bâtir des projets, à faire des compromis, à se découvrir plus fort parce qu’ensemble. Ce « nous » à la fois éphémère et permanent.
C’est dans ce large bassin humain qu’on trouve les ami-e-s qui nous donnent leur vieux vélo quand ils savent qu’on n’a pas l’argent pour remplacer celui qu’on s’est fait voler, la famille qui se proposera de faire des centaines de kilomètres pour nous tenir la main quand on va mal, les collègues qui viendront nous décharger quand ils et elles voient la pile de travail dépasser notre écran d’ordinateur, mais aussi la voisine qui nous sourit sur le pallier, le monsieur qui nous laisse sa place dans le métro, la personne inconnue qui a pensé planter des fleurs sur le bord du trottoir. Des gestes qui restent parfois invisibles, malgré leur beauté.
Aujourd’hui, j’ai envie de me concentrer sur ces petits bonheurs quotidiens. Sur le soleil qui filtre entre les branches, sur le son des enfants qui jouent sous ma fenêtre, sur la carte postale que j’ai trouvée en rentrant chez moi, sur la voix de ma grand-mère au téléphone. J’ai envie que ces moments épars et anodins soient ceux qui s’impriment. Oui. Il y a des choses terribles qui se passent. Et pas juste à la télé. Et pas juste des morts. Et pas juste cette semaine. Nos drames peuvent être personnels ou collectifs. Intimes ou publics. Mais je regarde le « nous » autour de moi, et j’ai envie qu’il y ait encore de l’espace pour qu’on puisse en prendre, en parler, s’indigner, reconstruire, mais ensemble. Peu importe les drames, tant qu’il y aura assez de « nous » pour qu’on puisse avoir droit aux doutes, pour qu’on se donne la permission, devant l’autre, d’être faible, d’avoir tort, tout n’est pas perdu.