« Il est clair pour moi que les nouvelles sont un produit. Elles servent à générer un profit. Si vous voulez vendre des publicités, vous devez avoir de bonnes cotes d’écoute. Et rien ne peut mieux les susciter que des histoires sensationnalistes. Or, lesquelles peuvent être plus sensationnalistes que les histoires de tueurs en série? »
Magnotta n’entre toutefois pas dans la catégorie telle que Bonn la définit dans son livre Why We Love Serial Killers, publié ces jours-ci. Pour cela, il faudrait qu’il ait commis au moins trois meurtres.
Néanmoins, le caractère horrible de l’assassinat de Jun Lin, qu’il a avoué, en fait un personnage très proche de la définition qu’on se fait d’un psychopathe. « D’après ce que j’ai lu de Magnotta, il cherchait une reconnaissance, estime-t-il. Il en jouissait. Il me fait penser à Dennis Rader. »
Rader? Il purge une peine de prison à perpétuité, après l’assassinat de 10 personnes entre 1974 et 1991. Sa soif de notoriété était telle qu’il envoyait des lettres aux policiers, où il demandait notamment combien de personnes il devrait tuer avant d’obtenir la renommée espérée.
C’est par le biais de ces lettres que Rader s’est lui-même surnommé BTK, pour Bind, Torture and Kill — ligoter, torturer et tuer. La nouvelle de Stephen King, A Good Marriage, dont le film vient de sortir, est inspirée de sa vie.
« Glorifier et verser dans les détails sensationnalistes de leur crime transforme ces tueurs en personnages plus grands que nature — ce qu’ils ne sont définitivement pas, explique Scott Bonn. À preuve, Denis Rader a tellement peur d’être oublié qu’il va publier un livre. »
Élément tordu : les recettes du bouquin seront remises aux familles de ses victimes. Rader affirme vouloir « payer sa dette ».
« Veut-il vraiment se repentir et verser dans l’altruisme? Absolument pas, tranche Scott Bonn. Ça ne lui permet que de contrôler sa propre image, sa propre histoire. Et donner l’argent aux familles ne viendra que nourrir d’autant son égo. »
Dennis Rader, d’ailleurs, refuse de se définir comme un tueur en série, mais préfère se décrire comme un « terroriste social ».
Distorsion médiatique
« Quand je parlais à mes étudiants de tueurs en série, ils devenaient exaltés, ils se redressaient sur leur chaise et voulaient toujours en savoir plus », relate Scott Bonn.
Ayant grandi en regardant Hannibal Lecter, Dexter et Criminal Minds, ses étudiants accolaient aux psychopathes un certain prestige. La télévision, le cinéma et la littérature tracent un portrait presque encenseur de ces criminels, qu’ils soient vrais ou fictifs.
De la Bible, où la foule veut sauver Barrabas, meurtrier sanguinaire, mais sacrifier le pur Jésus, jusqu’aux Talking Heads et leur chanson Psycho Killers, les vilains prennent le rôle de rock stars, visiblement plus intéressants à dépeindre que les bons.
Et pas qu’en fiction. Les médias participent eux-mêmes à la légende des assassins en les affublant d’un surnom, qui de Jack L’Éventreur, Summer of Sam ou Killer Clown. N’a-t-on d’ailleurs pas surnommé Magnotta le « dépeceur de Montréal »?
Cette vedettisation, explique Scott Bonn, n’est que pollution. La distorsion médiatique crée des mythes à mille lieues de la réalité.
Non, les psychopathes ne sont pas dotés d’une intelligence supérieure, pas plus qu’ils ne sont tous des hommes blancs solitaires et dysfonctionnels. Dennis Rader était même un modèle d’engagement dans sa communauté.
Contrairement à la croyance, les psychopathes n’ont pas une soif inextinguible de tuer, pas plus qu’ils ne cherchent tous à être attrapés.
De fait, les tueurs en série étudiés par Scott Bonn montrent plutôt un parcours ennuyant et pathétique. Ils ont l’air d’un voisin ou un collègue ordinaire, parfois un peu asocial. Et ils retournent à une vie normale et routinière après avoir tué.
Ils ne passent pas leur temps à planifier leur prochain crime; celui-ci vient habituellement d’une pulsion soudaine. Leurs proches ne leur reconnaissent un comportement étrange… qu’après leur arrestation.
Et ils sont extrêmement rares à plaider l’aliénation mentale. Notamment parce que, bien que désaxés, ils n’obéissaient pas à des voix ou des monstres imaginaires. Ils savaient pertinemment que les gestes qu’ils posaient étaient illégaux.
Le tueur cathartique
Il faut quand même assez de culot pour titrer son livre Pourquoi nous aimons les tueurs en série, non? « Il faut pourtant reconnaître qu’ils nous fascinent, réplique Scott Bonn. Mais fascination ne veut pas dire approbation. »
Dans son livre, il souligne un paradoxe : nous humanisons les tueurs en série pour qu’ils nous fassent moins peur, mais nous les déshumanisons pour créer une frontière morale avec eux. Le tueur en série est en quelque sorte un miroir déformant, qui nous conforte sur ce que nous ne sommes pas. Et sur l’innocuité de nos erreurs.
En entrevue, le professeur va plus loin : l’idée qu’on se fait du tueur appelle une certaine catharsis, parce qu’il fait partie de la même société que nous.
« Dans l’imaginaire collectif, ce sont des prédateurs comme les grands requins blancs peuvent l’être, voire les catastrophes naturelles. Il y a un écho à notre peur. Or, ce sont des êtres humains, pas des requins ou des tornades. Comment un être humain peut-il alors s’abaisser à torturer, tuer, découper voire manger d’autres êtres humains? Et vient immanquablement cette question qu’on n’ose pas prononcer, mais qui reste en tête : et moi, comme humain, serais-je capable de telles atrocités? »
Les tueurs nous ramènent à la fragilité de notre humanité. Commode réflexe, alors, de les reléguer à l’idée d’un personnage. « Je crois que cela explique pourquoi les tueurs en série préfèrent être perçus par les adultes comme les histoires de monstres sont pour les enfants : un divertissement. Une forme d’excitation, sans se mettre à risque. »
Cette fascination trouve sa triste apogée dans les produits dérivés, voire les reliques de psychopathes vendues sur eBay à des prix impossibles. « Vous pouvez non seulement acheter des livres et des films, mais aussi des pyjamas et des jeux à l’effigie de Jeffrey Dahmer », déplore Scott Bonn. Magnotta fera peut-être un jour parti de la liste.
Et si BTK ou le Zodiac avaient sévi en 2014, quelle utilisation auraient-ils fait des réseaux sociaux? « Ils les auraient probablement utilisés comme les terroristes de l’État islamique », croit Scott Bonn. Ils se seraient mis en scène. Comme Magnotta, ajoute-t-il.
Leurs noms, en tout cas, restent bien imprimés dans nos têtes. Les médias qui glorifient et « glamourisent » les tueurs, à coups de photos et de recherche sur les moindres détails de leur passé, devraient faire tout le contraire, estime-t-il.
Allez, faites le test autour de vous. Combien de vos proches sont en mesure de vous dire qui sont Paul Bernardo ou Robert Pickton? Plusieurs, sans doute.
Maintenant, essayez d’en trouver un seul capable de nommer une de leurs victimes.