Le premier don du député de St-Jérôme date de 2005 : il se chiffre à 1000$ et est destiné au Parti Libéral du Québec. Deux ans plus tard, en 2007, PKP réitère ce don, mais contribue également à hauteur de 3000$ au financement de l’Action démocratique du Québec de Mario Dumont. L’année suivante, sa générosité ne démentit pas, mais les libéraux sont les seuls à en profiter. Il leur donne 3000$. En 2010, Pierre Karl change de camp et donne ce même montant à sa formation actuelle. Bilan : en l’espace de cinq ans, le patron de Québécor a contribué au financement des trois principales formations politiques de la province. Tentant de saisir la logique derrière ces contributions, j’ai esquissé trois hypothèses. Examinons-les.

Bilan : en l’espace de cinq ans, le patron de Québécor a contribué au financement des trois principales formations politiques de la province.

Hypothèse #1 : PKP est avant tout un démocrate et il tient à encourager le débat politique de manière générale.

En donnant à plusieurs formations politiques, le chef d’entreprise cherchait peut-être sincèrement à stimuler la vie politique québécoise. En effet, le débat public s’enrichit par la présence d’acteurs aux visions divergentes.

Un fait vient cependant rendre cette hypothèse invraisemblable : si PKP était motivé toutes ces années par des convictions démocratiques, pourquoi n’a-t-il pas donné à Québec Solidaire? Le parti progressiste a pourtant été fondé en 2006, alors que la générosité du député Péladeau était à son zénith. S’il avait été mû par une préoccupation pour la santé démocratique de la province, il aurait sans aucun doute voulu encourager aussi ce nouvel acteur.

Hypothèse rejetée.

Hypothèse #2 : PKP est un esprit libre et sa pensée politique a évolué au fil du temps.

« Il n’y a que les fous qui ne changent pas d’idée » dit un vieil adage. Il est bien possible que les idéaux de PKP aient changé au fil du temps, et qu’il ait par exemple hésité longtemps sur sa posture quant à la question nationale. La volatilité de son opinion pourrait donc expliquer le caractère erratique de ses contributions financières aux partis politiques.

Mais là aussi, quelque chose cloche : si le propriétaire de Québécor a changé de position politique au fil du temps, pourquoi a-t-il donné à deux partis en 2007? On rappellera le contexte singulier dans lequel ce don a été fait : cette année-là, le petit parti de Mario Dumont avait fait une montée importante dans les sondages, jusqu’à devenir (brièvement, mais tout de même) l’opposition officielle du deuxième gouvernement Charest. PKP aurait donc à la fois donné au parti au pouvoir et à l’opposition officielle? Il est difficile de croire que Péladeau ait été sincèrement en accord avec les deux partis en même temps.

Hypothèse rejetée.

Hypothèse #3 : PKP est un habile homme d’affaires et il a compris comment fonctionne la démocratie québécoise.

Nous voilà laissés avec la troisième et dernière hypothèse. Et si la générosité de PKP était en fait le fruit d’un simple calcul d’affaires? On se rappellera que lors de son controversé passage à la Commission Charbonneau, l’homme d’affaires Tony Accurso avait candidement admis avoir lui aussi contribué à l’ensemble des partis politiques. Questionné par la Commission au sujet de ses dons, le principal intéressé avait expliqué qu’il se « sentait obligé » de contribuer aux caisses électorales de tous les partis provinciaux susceptibles de prendre le pouvoir.

Pressé de questions sur l’objectif derrière ces dons, Accurso avait expliqué qu’il ne s’agissait pas d’obtenir directement des « retours d’ascenseur », mais plutôt de s’assurer que le parti au pouvoir soit au moins un peu sympathique à sa cause : « Des dons politiques, ce n’est pas nécessairement pour aider. C’est dans le but de ne pas vous nuire et moi c’est dans ce but-là que j’ai toujours contribué à tous les partis politiques. C’est quelque chose que mon père m’a appris: Ne demande pas à un politicien de t’aider. Demande-lui de ne pas te nuire ».

Dans le petit écosystème politico-économique québécois, la « philanthropie politique » fait tout simplement partie des us et coutumes.

Il faut bien me comprendre. Je ne compare directement pas Pierre Karl Péladeau à Tony Accurso. Il y a d’excellentes raisons de croire que les méthodes du premier (bien qu’hautement controversées) soient passablement plus propres que celles du deuxième. Cela dit, la logique explicitée par Accurso devant la Commission Charbonneau pourrait confirmer ma troisième hypothèse : dans le petit écosystème politico-économique québécois, la « philanthropie politique » fait tout simplement partie des us et coutumes.

En tant qu’entrepreneur puissant, il est important de disséminer généreusement ses deniers dans les caisses électorales de tous les partis susceptibles de prendre le pouvoir, afin d’entretenir leur bienveillance. Cela expliquerait en partie la remarquable ouverture d’esprit dont font preuve les partis traditionnels à l’égard des doléances du milieu des affaires. Quant au travailleur moyen, on lui permet de s’exprimer de temps à autres par le biais de formulaires en ligne rendus disponibles par les ministres, lorsqu’on cherche à appliquer un vernis de légitimité populaire sur des décisions la plupart du temps déjà prises.

Pour dire vrai, cette histoire démontre sa maîtrise parfaite de la seule langue que parle dorénavant le pouvoir: la langue de l’argent.

L’écoute de nos dirigeants ne s’achète qu’à fort prix. Voilà sans doute ce qui explique la générosité de Pierre Karl Péladeau. Ténor du milieu des affaires québécois, il savait exactement quoi faire pour rester dans les bonnes grâces du Prince, pour que ce dernier garde sa porte ouverte et son oreille attentive. Pour dire vrai, cette histoire démontre sa maîtrise parfaite de la seule langue que parle dorénavant le pouvoir: la langue de l’argent.

Hypothèse retenue.