Ces deux éprouvantes éruptions de violence qui s’abattent subitement tant sur les films que sur les spectateurs, interrompent le rire et la satire dans lesquels nageaient les deux David. L’Amérique arrive alors au bout de son cauchemar : la mort et le meurtre sont devenus les ultimes réponses possibles à l’anonymat de ces femmes invisibles. Invisibles, et par conséquent déviantes. Car, qu’elles demeurent étrangères parmi les stars d’Hollywood ou qu’elles s’effacent peu à peu aux yeux de leurs maris, ces femmes sont les produits d’une Amérique superficielle et malade, gangrenée par une Image-dieu (la sienne, surtout) qu’il faut contrôler et projeter à tout prix. On me voit, donc je suis.

Grains de sable dans la géante comédie de l’existence, elles sont des figures post American Beauty, post Revolutionnary Road, biberonnées à la culture de l’apparence des médias sociaux et des plateaux TV. Les femmes, pire que de se bourrer de Prozac et/ou de s’autodétruire comme elles le faisaient jusqu’ici chez Sam Mendes ou Todd Field (Little Children), retournent leur colère et leur haine contre leur modèle et leur fantasme (illusoires) – de célébrité chez l’une, de prince charmant chez l’autre. Cette dichotomie nouvelle entre l’image projetée (ce que le psychanalyste Winnicott appelait « le faux self ») et le vrai soi a complètement bousillé leur identité. Pire : elle a laissé assez de place pour que grandisse un Monstre. Le mobile du crime n’est plus que la destruction du regard de l’autre, qui les contrôle et les limite. Dans l’annihilation du corps de l’autre, elles retrouvent le leur. C’est sa beauté que regagne la brûlée Agatha, lorsqu’elle égratigne la perfection de la star. Amy, quant à elle, prend sa revanche sur l’homme dominant, l’homme sexuel. Son Éros à elle, bafoué, devient carnivore.

Comment représenter à l’écran l’implosion de ces pestes de l’ombre, aliénées dans l’anonymat de leur chambre à coucher? En spectacle, logiquement. C’est ainsi que Fincher et Cronenberg procèdent : par l’orchestration minutieuse d’une cruelle symphonie de méchanceté et d’humour noir où ni les morts ni les assassins ne sont des victimes. Avant de se faire frapper férocement le crâne, la star chez Cronenberg a ravi nos zygomatiques. Même spectacle comique de la malveillance chez Fincher : on rigole, ni plus ni moins, aux dépens du (quand même terrifiant) stalker. Ce n’est que lorsqu’elles se laissent soudainement aller à leurs massacres pulsionnels que les deux femmes nous rappellent au réel : le rire se fracasse alors sur l’horreur, et ce grand spectacle humoristique de la méchanceté apparaît pour ce qu’il est vraiment – non plus une amusante absurdité dont on est les témoins, mais bien le Mal absolu dont nous sommes tous les complices.

Gone Girl de D. Fincher est en salles. Maps to the stars de D. Cronenberg sera presenté dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma.