Certes, le Canada fait relativement bonne figure. Le rapport entre le temps consacré par les hommes aux tâches domestiques et celui alloué par les femmes se situe légèrement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. Néanmoins, ce ratio plafonne à peine au-dessus des 60%.

Certains diront que ce sont des chiffres encourageants, surtout si on regarde l’évolution du partage des tâches domestiques depuis l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Depuis 1976, les femmes sont deux fois plus nombreuses à travailler en dehors du foyer. De plus, l’accès aux services de garde abordables et les politiques parentales qui incitent – bien que timidement – les pères à passer du temps à la maison à la naissance de leurs enfants ont contribué à décloisonner le partage des responsabilités domestiques. Ainsi, les hommes apprennent tranquillement, mais sûrement, à mettre la main à la pâte.

Les choses, diront les optimistes, vont s’équilibrer naturellement.

Simples vestiges d’une autre époque?

Pourtant, un examen attentif des statistiques mises de l’avant par l’IRIS brosse un portrait moins réjouissant. Manifestement, l’intégration massive des femmes au marché du travail n’a pas suffi à pondérer équitablement le fardeau des tâches domestiques, en fonction du nombre d’heures que consacrent respectivement les deux conjoints au travail rémunéré.

Un seuil immuable de travail domestique auquel les femmes ne peuvent échapper semble persister, indépendamment de leur apport financier à la famille. Comme si les elles étaient « naturellement » vouées à consacrer plus d’énergie au travail non rémunéré.

En effet, à salaire à peu près équivalent, les femmes allouent 62% plus de temps que leur conjoint au travail domestique. De plus, phénomène curieux, si une femme gagne plus que son conjoint, cela semble freiner le partage équitable des tâches. Comme si les femmes qui rapportaient plus d’argent à leur famille avaient tendance à pallier cette « anomalie » en redoublant d’ardeur à la maison. C’est qu’il ne faudrait qu’en plus de l’humiliation infligée par un revenu plus modeste, monsieur ait à se salir les mains dans l’eau de vaisselle!

En fait, le seul contexte où on observe un partage quasi égalitaire des tâches domestiques est celui où la femme est le seul soutien financier de sa famille. Alors, son conjoint tend à consacrer un maigre 4% de temps supplémentaire au travail domestique. Ce chiffre est frappant, surtout si on inverse les rôles : lorsque l’homme est le seul pourvoyeur, la femme consacre 166% plus de temps aux tâches quotidiennes.
Doit-on en conclure qu’un homme, peu importe son apport matériel à la famille, serait « naturellement » plus libre de consacrer son énergie à autres choses que l’entretien ménager ou toute autre tâche non rémunérée?

Alors qu’on se targue souvent d’avoir atteint l’égalité des sexes, cette proposition fait sourciller. Pourtant, les chiffres parlent.

Que faire?

Il serait naïf de penser qu’il n’y a derrière la persistance des inégalités observées au sein des ménages qu’un vestige de l’époque où les femmes restaient à la maison; vestige qui finira bien par disparaître.
Au contraire. La répartition sexiste des tâches domestiques se moule parfaitement au contexte contemporain. À commencer parce que le fardeau de « prendre soin », attribué par défaut aux femmes, se conjugue aisément avec la présence de ces dernières sur le marché du travail. Après tout, il faudra toujours quelqu’un pour occuper les emplois à temps partiel, plus flexibles, mais aussi plus précaires et moins bien rémunérés. Tant que la figure de la « fée du logis » sera aussi commode, on peut douter que les iniquités se résorbent d’elles-mêmes.

On demande souvent aux féministes ce que les hommes peuvent faire pour contribuer à la lutte pour l’égalité des sexes. S’il est parfois difficile de donner une réponse précise, des chiffres comme ceux qui viennent d’être exposés fournissent un exemple très concret : si les hommes veulent faire leur part, ils peuvent commencer par un examen sincère de la répartition des tâches domestiques au sein de leur ménage. Et s’ils y constatent une iniquité, qu’ils la corrigent. Ils n’ont d’ailleurs pas à demander la permission à qui que ce soit.

Ce n’est évidemment pas très glamour, mais pallier des inégalités l’est rarement. C’est moins attrayant qu’un appel à contribution formulé par une actrice mignonne devant l’assemblée des Nations Unies, précisant que le féminisme est bon parce qu’il profite autant aux hommes qu’aux femmes. Sauf qu’en réalité, le meilleur apport que les hommes peuvent faire aux luttes féministes est d’accepter de céder des privilèges qu’ils ont toujours tenus pour acquis. C’est une proposition difficile, qui appelle aux efforts et aux concessions, mais il s’agit d’un passage obligé pour l’atteinte de l’égalité réelle.
Si ces messieurs espéraient qu’on leur confie un rôle d’avant-plan dans la lutte féministe, force est d’admettre que pour une fois, leur place est peut-être là où les femmes ont pris part à toutes les luttes politiques de l’histoire, c’est-à-dire en coulisses. Et ça commence à la maison.