C’est à pied que plus de 2500 personnes (1000 selon les médias de masse) ont déferlé sur le port de Gros-Cacouna. Ils se sont arrêtés à la barrière de sécurité pour écouter plusieurs discours enflammés.
« J’aimerais que les médias comprennent une chose aujourd’hui: la résistance ne s’organise plus, a lancé à la foule Simon Côté, porte-parole de la coalition Stop-Oléoduc. La résistance est organisée. Sachez que maintenant, l’énergie des milliers de citoyens dans les centaines de groupes à travers la province va se concentrer de moins en moins dans l’organisation, et de plus en plus dans l’action directe. »
Martin Poirier, cofondateur de Non à une marée noire dans le Saint-Laurent, a vertement dénoncé l’enthousiasme affiché par le gouvernement envers le projet de TransCanada. « Enlevons le titre de notre premier ministre, a-t-il proposé, et disons qu’il devient carrément un lobbyiste de TransCanada. »
Réalignements politiques
Si le nombre de manifestants, sans précédent à Cacouna, a envoyé un message fort demandant l’arrêt des travaux au premier ministre Couillard, c’est surtout un virage politique qui s’est observé. Encore ce printemps, la plupart des partis politiques brillaient par leur silence.
En juin, le Bloc québécois s’est affiché contre le projet. Cet automne, le Nouveau parti démocratique (NPD), qui soutient le projet dans l’Ouest, entreprend un délicat repositionnement au Québec. « On a déposé une motion précise sur le projet de port pétrolier, explique François Lapointe, député de Montmagny-L’Islet-Kamouraska-Rivière-du-Loup du NPD, pour rejeter la construction d’un port pétrolier ici à Cacouna. »
Pour le président du Bloc Québécois, Mario Beaulieu, cette motion, assurée d’être battue en chambre, a été déposée pour la forme par le NPD. « Je pense que seule une mobilisation de la population et des groupes de la société civile va permettre de stopper ce mouvement-là pour nous imposer le passage du pétrole de l’Ouest canadien. »
Au provincial, le Parti québécois (PQ), qui a autorisé l’inversion controversée de la ligne 9 d’Enbridge et subventionné l’exploration pétrolière sur Anticosti, a dépêché quatre députés pour afficher son opposition au projet de TransCanada.
Questionnée sur l’apparente contradiction entre la position de son parti sur l’un et l’autre projet d’oléoducs, Martine Ouellet, porte-parole péquiste en matière de transports, d’électrification des transports et de stratégie maritime, a répondu que « le Parti québécois n’a jamais été pour le projet de TransCanada. Les deux projets de pipelines sont deux projets complètement différents. Enbridge, c’est de l’inversion, mais c’est aussi pour le marché québécois. »
Pascal Bérubé, député péquiste de Matane-Matapédia, a rappelé que le ministre libéral délégué aux Transports et à l’Implantation de la stratégie maritime et responsable des régions de du Bas St-Laurent et de la Gaspésie-Île-de-la-Madeleine, Jean D’Amour, a affirmé que « s’il n’y a pas d’acceptation sociale, ça ne se fera pas, alors voici une première démonstration de l’opposition qui m’apparaît assez étendue au Bas-Saint-Laurent ». Ce réalignement des planètes politiques pourrait bien marquer un tournant pour ce projet, dont l’importance géostratégique est énorme.

Importance stratégique
Le 16 octobre prochain, l’injonction obtenue par plusieurs groupes environnementaux prendra fin et les travaux de forage de Transcanada pourraient recommencer. Ces sondages géotechniques doivent permettre de connaître le fond marin où poser les assises de la jetée de 750 mètres où il est prévu d’amarrer deux à trois superpétroliers par semaine.
Outre les risques de déversements, le projet implique le déversement routinier de 60 000 tonnes d’eaux de ballast par navire. On doit y charger environ la moitié des 1,1 million de barils par jour transportés par l’oléoduc Énergie-Est de TransCanada, l’autre moitié du pétrole étant destinée au port de St-John, au Nouveau-Brunswick.
Alors que le projet d’oléoduc Keystone XL (TransCanada) tarde à être autorisé aux États-Unis et que celui de Northern Gateway (Enbridge) est bloqué en Colombie-Britannique, les deux projets d’oléoducs québécois restent les seules options permettant d’envisager l’exportation nécessaire à la croissance de l’industrie des sables bitumineux.