La figure de style est l’une des plus anciennes de la langue de Molière, mais Philippe Couillard et son équipe en rafraîchissent la signification depuis quelques semaines. Conservatoires en région fermés puis sauvés, aide aux devoirs abolie puis rétablie, allocations aux travailleurs déficients intellectuels annulés puis restitués : le gouvernement Couillard fait actuellement preuve d’un remarquable manque de courage politique.

Attisant la colère du contribuable « écoeuré de payer », les ministres du gouvernement Couillard répètent qu’ils ne ciblent que les « structures » et la « bureaucratie ». Sauf que populisme de l’approche libérale montre déjà ses limites. Les « appareils multiples » que les libéraux entendent restructurer ne flottent pas dans le vide et les individus qui y travaillent effectuent des tâches réelles. Les slogans ne suffisent pas : on ne peut pas réduire drastiquement les dépenses publiques et faire croire à la population qu’elle ne remarquera rien. Contrairement à ce que prétend le gouvernement Couillard, l’obsession de l’équilibre budgétaire immédiat a des conséquences économiques, sociales et politiques importantes.

On est austère ou bien on l’est pas!

Des conséquences économiques, d’abord. En janvier dernier, l’économiste en chef du FMI contredisait l’orthodoxie ambiante en avouant s’être trompé sur les impacts économiques des politiques d’austérité. Leur aveu est troublant : diminuer les dépenses publiques plombe la croissance des économies. Autrement dit, en voulant atteindre l’équilibre (ou réduire la dette) trop rapidement, on plonge l’économie dans un cercle vicieux. Moins de dépenses publiques, c’est moins de croissance. Moins de croissance, c’est moins de revenus pour l’État. Moins de revenus pour l’État… Vous voyez le portrait. Obsédés par la colonne des dépenses, les libéraux oublient celle des revenus.

Ensuite, des conséquences sociales. Prenons le cas de l’éducation. Dans certaines commissions scolaires, après des années de restrictions budgétaires, le pourcentage du budget destiné aux frais administratifs a été réduit à moins de 3%. L’aveuglement idéologique qui affecte le gouvernement l’empêche de voir ce que tous les acteurs du milieu reconnaissent depuis belle lurette : les élèves ressentent déjà les effets des compressions des dernières années. Lorsque le ministre Bolduc déchire sa chemise en refusant que les services aux élèves soient touchés, il arrive donc un peu en retard. Pénurie de livres, classes surchargées, manque de spécialistes et de professionnels : cela fait des années que l’école publique québécoise manque de ressources pour être à la hauteur de sa vocation. Et encore une fois, ce sont les plus vulnérables qui en paient le prix. À preuve, parmi toutes, c’est la Commission scolaire de Montréal qui doit conjuguer avec les compressions les plus importantes… alors que 40% de ses élèves vivent sous le seuil de la pauvreté.

Finalement, des conséquences politiques. En mai dernier, le ministre des finances Carlos Leitao avait l’audace de comparer le Québec à la Grèce, avançant que si rien n’était fait, le Québec se retrouverait une situation semblable en moins de cinq ans. Or, rappelons ce qui s’est produit lorsque les Grecs ont vu leurs retraites coupées, leurs salaires gelés, leurs taxes augmentées et leurs services publics privatisés. Manifestations monstres, grèves générales, blocages des villes : ils se sont révoltés. Il s’agit, comme le dit un de mes amis, d’une vieille loi de la physique sociale : « les mêmes causes entraînent les mêmes effets ». C’est simple : lorsque l’État renonce à ses devoirs sociaux et que les gens en paient le prix, ils se fâchent. Les phrases creuses que nous servent depuis quelque temps les libéraux ne pourront éternellement masquer la nature controversée de ce programme.

L’austérité n’est pas un dîner de gala, dirait-on en paraphrasant une formule tristement célèbre. C’est un projet de nature politique et partout où il est mis en pratique, les sociétés sont ébranlées. En Europe, ses victimes – chômeurs, déshérités, sans-emplois – se comptent aujourd’hui par millions.

On raconte que lorsqu’une poule est surprise par la pluie, elle se cache en attendant la fin de l’averse, comme prise par la honte et l’abattement. Cette attitude singulière est, dit-on, à l’origine du célèbre proverbe. Si le gouvernement Couillard souhaite prendre la voie de l’austérité, il ne peut plus se cacher derrière des formules magiques et accuser ses fonctionnaires. Il est temps qu’il sorte affronter l’orage.