« Très généreux », le RQAP, a déclaré le premier ministre devant les journalistes. Alors qu’on appelle les Québécois à se serrer collectivement la ceinture, la « générosité » d’une mesure sociale, quelle qu’elle soit, se fait suspecte. Ainsi, après les services offerts aux élèves dans les écoles et l’universalité des services de garderie, c’est le soutien aux jeunes familles qu’on voudrait faire passer sur l’étal.

D’entrée de jeu, la « générosité » du RQAP doit être nuancée. Si notre régime est certes le plus généreux en Amérique du Nord, il est loin d’émuler, par exemple, celui de la Suède, souvent cité comme modèle. Le régime suédois d’assurance parentale offre en effet aux parents jusqu’à 16 mois de congé, qui peuvent être répartis sur les huit premières années de vie de l’enfant. Les parents peuvent aussi profiter du congé à temps partiel, afin d’effectuer un retour progressif au travail ou d’étirer la période de prestations. On donne même aux pères un congé de deux mois non transférable, afin de les encourager à profiter eux aussi du soutien offert, et non à transférer simplement leurs bénéfices à la mère. Bref, un soutien plus durable et plus flexible, permettant aux femmes de réintégrer progressivement le marché de l’emploi, et un incitatif clair, pour les pères, à s’impliquer davantage au sein de la cellule familiale, au début de la vie de l’enfant. Tout le monde y gagne.

« La rigueur budgétaire ne discrimine pas : tous les « excès de générosité » doivent être redressés. À tout le monde de faire des efforts »

Mais il y a longtemps que la référence aux « modèles scandinaves » ne suffit plus à convaincre les sceptiques. Pas le même contexte. Pas les mêmes ressources. Petit porte-feuille, petit peuple, petit pain, alouette. Et l’ogre du déficit crie famine. En matière de services sociaux, se comparer aux meilleurs serait semble-t-il irréaliste et vain. Mieux vaut se comparer à nos compatriotes canadiens ou à nos voisins du Sud; histoire de se sentir pleinement justifiés de niveler vers le bas. De la belle vision, quoi.

Ainsi, peu importe que le RQAP ait, depuis sa création en 2006, stimulé la natalité, permis aux pères de rester davantage auprès de leurs nouveau-nés et allégé le fardeau financier des mères monoparentales. Peu importe également que l’implantation de ce régime représente, pour les femmes, un gain historique dans la lutte pour la conciliation travail-famille. La rigueur budgétaire ne discrimine pas : tous les « excès de générosité » doivent être redressés. À tout le monde de faire des efforts.

Par contre, le fait que les femmes ressentent plus durement les effets de l’austérité – notamment parce qu’elles gagnent en moyenne moins d’argent et parce qu’elles constituent l’écrasante majorité des chefs de famille monoparentale – et qu’elles soient les premières à bénéficier du RQAP ne semble pas constituer un argument valide pour son maintien.

Protéger nos acquis sociaux

La rumeur veut que le gouvernement Couillard cherchera à économiser en réduisant le montant et la durée des prestations du RQAP, mais sans toucher aux taux de cotisation – pour l’instant. Forcément, puisque sinon, on entrevoit mal où seraient réalisées les économies qu’on espère; le Fonds d’assurance parentale, institué par la Loi sur l’assurance parentale, étant financé exclusivement par les cotisations versées par les employeurs et les employés qui souscrivent au régime. L’État n’y contribue pas directement, sauf à travers les cotisations qu’il verse en sa qualité d’employeur. Pour dégager des économies sans toucher aux taux de cotisation, il faut donc forcément réduire le montant d’argent qui « sort » du Fonds. Ainsi, on nous propose de continuer à cotiser, mais d’espérer moins en retour.

« On aurait tort de laisser Philippe Couillard et sa bande de gérants de dépanneurs traiter nos acquis sociaux comme les machines rouillées d’une vieille usine »

Évidemment, la baisse soudaine du taux de cotisation exigé des employeurs, afin que l’État fasse quelques économies, ne serait pas non plus souhaitable. En effet, si le taux de cotisation fixé pour les employeurs était revu à la baisse, tous les employeurs seraient alors libérés d’une part de l’obligation de cotiser au régime pour leurs employés. Une telle baisse aurait certainement de quoi réjouir le patronat, qui déplore depuis des années la hausse des taux de cotisations. Mais pour les bénéficiaires du régime, les conséquences seraient fâcheuses. Là encore, les prestations risqueraient d’écoper. Quand on parlait de nivellement vers le bas…
Mais proposer de faire payer autant employeurs et employés pour ensuite redistribuer moins : c’est carrément rire des gens.

Cela dit, au-delà des arguments comptables, le RQAP mérite d’être valorisé pour ce qu’il symbolise, pour la société québécoise. Les femmes se sont battues d’arrache-pied pendant des décennies pour d’abord accéder à l’emploi, puis pour conjuguer travail et grossesse, et finalement, pour ne pas avoir à choisir entre le bien-être et la sécurité matérielle de leur famille. Le RQAP et sa « générosité » ne constituent pas un luxe ni une anomalie, mais bien un des piliers assurant l’autonomie des femmes du Québec.

On aurait tort de laisser Philippe Couillard et sa bande de gérants de dépanneurs traiter nos acquis sociaux comme les machines rouillées d’une vieille usine, dont il faut se débarrasser à tout prix pour relancer la « business ».