Le 18 septembre prochain, les Écossais et Écossaises décideront de leur indépendance au terme d’une campagne d’un an et demi instiguée par le gouvernement d’Alex Salmond, chef du Scottish National Party (SNP) et tête d’affiche de la campagne Yes Scotland. Coup de théâtre à dix jours du référendum: le « Non », regroupé sous l’ombrelle Better Together et donné gagnant depuis le début de la campagne, vient d’être doublé par les indépendentistes dans les sondages. Un retournement imprévu qui n’étonne pas l’aile gauche du « Oui », la Radical Independence Campaign. Pour inaugurer notre dossier sur l’avenir de l’Écosse, Ricochet pose cinq questions à Neil Davidson, professeur de sociologie à l’Université de Glasgow et militant de la Radical Independence Campaign.

Le 25 août dernier, Alex Salmond a facilement remporté le deuxième débat télévisé contre le porte-étendard de Better Together, Alistair Darling, jugé peu charismatique. Le dernier sondage YouGov, paru le 5 septembre, donne, pour la première fois, une majorité mince au camp du « Oui ». À 10 jours du référendum, qu’est-ce qui mènera Yes Scotland à la victoire?

Plusieurs facteurs sont à considérer, comme la défection du député conservateur Doug Carswell au profit du parti d’extrême droite UKIP il y a quelques jours. Voilà qui a rappelé aux Écossais et aux Écossaises la dangereuse possibilité d’un gouvernement de coalition conservateur-UKIP à Westminster après l’élection de 2015, si le « Non » gagne. De plus, Better Together s’est tiré une balle dans le pied avec ses publicités méprisantes et sexistes. Cela dit, seule une campagne sérieuse et constante dans les régions traditionnellement ouvrières, fondée sur la promesse de changement social d’un vote pour le « Oui », nous mènera à la victoire.

Vous militez pour la Radical Independence Campaign (RIC). Contrairement au SNP, la RIC se bat pour une rupture avec l’État néolibéral. Après des mois de mobilisation populaire, quelles sont vos observations sur le terrain?

Radical Independence Campaign s’est concentrée sur les régions les plus pauvres de l’Écosse — comme celles qui abritent des projets de logement social habituellement ignorés par les politiciens. Il est clair que les classes sociales les plus marginalisées sont aussi les plus susceptibles d’appuyer l’indépendance. Malheureusement, elles sont aussi les moins susceptibles de voter ou de s’inscrire sur la liste électorale.

Nous avons donc mené plusieurs campagnes d’inscription à la liste électorale, comme l’avait fait le mouvement des droits civiques américain dans les années 1950 et 1960. Nous avons remarqué que les électeurs et électrices inscrit-e-s par des militant-e-s pour le « oui » auraient tendance à voter « oui » à leur tour. RIC cible aussi les bureaux gouvernementaux qui desservent les travailleurs et travailleuses pauvres, les sans-emploi et les personnes en situation de handicap. Nous les abordons au moment où ils et elles en franchissent la porte pour recevoir leurs misérables allocations. Leur réaction est généralement encourageante.

Le plus important, c’est l’éveil politique vécu par de nombreux Écossais-e-s désintéressé-e-s depuis le début de la campagne.

Le plus important, bien que ça puisse sembler prétentieux vu de l’extérieur, c’est l’éveil politique vécu par de nombreux Écossais-e-s désintéressé-e-s depuis le début de la campagne. L’un des défis du RIC et de la gauche est de maintenir cette implication politique généralisée après le référendum, peu importe son issue.

Le débat sur l’indépendance est fortement déterminé par des questions sociales. Plusieurs craignent de voir le Parti travailliste du Royaume-Uni s’effondrer après une victoire du « Oui », comme ses bases électorales sont concentrées dans le nord du pays. Quel sera l’impact de l’indépendance sur la gauche et le mouvement syndical du Royaume-Uni?

Si le Parti travailliste ne réussit pas à gagner une élection post-indépendance, il n’aura que sa propre capitulation au néolibéralisme à blâmer.

Prétendre que le Parti travailliste serait anéanti par l’indépendance relève de l’exagération. Il est vrai que les travaillistes dominaient l’Écosse il n’y a pas si longtemps — ils doivent maintenant partager ce statut avec le SNP — et la culture travailliste a une longue histoire au sein du mouvement syndical. Mais les travaillistes sont également forts dans le nord de l’Angleterre, dans le centre de Londres, et au Pays de Galles. En fait, l’Écosse ne possède qu’un dixième de la population du Royaume-Uni, et a rarement décidé de l’issue d’une élection générale: seules deux élections générales depuis 1922 — en 1964 et en 1974 — ont été gagnées par les travaillistes grâce à l’Écosse. Si le Parti travailliste ne réussit pas à gagner une élection post-indépendance, il n’aura que sa propre capitulation au néolibéralisme et sa poursuite des votes de la classe moyenne, au dépend des classes populaires, à blâmer — pas les Écossais-e-s.

L’indépendance pourrait même avoir un impact positif sur le Parti travailliste écossais, parce qu’il pourra se reconstruire sans l’influence du parti central. Elle pourrait galvaniser l’ensemble de la gauche. Les syndicats auraient toujours des membres des deux côtés de la frontière écossaise après l’indépendance, comme c’est le cas avec le Royaume-Uni et la République d’Irlande — ou les États-Unis et le Canada. La véritable question en suspens est la solidarité des travailleurs et travailleuses et leur volonté de refuser, si nécessaire, les mots d’ordre de la bureaucratie syndicale, pas l’existence d’une frontière.

Des élu-e-s du Parti québécois ont appuyé publiquement la campagne après une visite d’État de l’ancienne Première ministre Pauline Marois. Ils ont reçu un accueil tiède. L’approche de Yes Scotland est différente de celle du « Oui » québécois: l’identité y occupe une place secondaire. Yes Scotland a-t-elle peur de s’associer aux perdants, ou avez-vous tiré des leçons de « l’argent et le vote ethnique »?

C’est peut-être parce que le PQ n’a pas atteint son rêve de souveraineté, mais je pense qu’en réalité, le SNP a réalisé que la majorité des électeurs et électrices du « Oui » ne sont pas des nationalistes, mais plutôt des socialistes, des environnementalistes, des féministes qui veulent l’indépendance pour ces raisons. La question de l’identité est absente du débat. En fait, c’est Better Together qui parle sans cesse de son patriotisme écossais. Évidemment, la Radical Independence Campaign s’oppose à la politique identitaire.

Si l’Écosse choisit le « Oui » le 18 septembre, quel chemin prendra ce nouveau pays? S’inscrira-t-il en rupture avec les politiques d’austérité de l’Europe continentale ou en continuité avec elles? Et si le « Non » remporte la mise, Westminster penchera-t-il vers la décentralisation ou la punition?

Si c’est « Oui », la bataille ne fait que commencer: de quelle Écosse voulons-nous? D’abord, la constitution, mais aussi qui négociera avec Westminster, le calendrier de sortie de Trident [NDLR: l’attirail britannique de missiles nucléaires], le maintien ou l’abolition des lois anti-syndicales, etc. Le SNP, formation aussi contradictoire qu’instable, s’est engagé dans un néolibéralisme « social » — en d’autres mots, une politique économique favorable à l’entreprise tempérée par le contrat social-démocratique de l’après-guerre, sans quoi il ne pourrait compter sur l’appui des classes populaires. La gauche devra se rassembler autour d’un nouveau parti radical, en incluant les électrons libres qui sont au coeur de la Radical Independence Campaign, afin d’organiser la gauche dans un contexte particulièrement volatile.

Cette campagne a généré trop d’intérêt pour le débat politique pour que nous retournions à la case départ.

Si c’est « Non », on peut s’attendre à une décentralisation plus forte, quoique cela dépend de l’intelligence des conservateurs. Ils pourraient refuser afin d’apaiser leur aile droite. Selon moi, la décentralisation n’est pas une alternative intéressante: il s’agit d’une stratégie néolibérale pour importer l’austérité à tous les paliers de gouvernance démocratique. Malgré tout, si le « non » gagne, tout n’est pas perdu. Cette campagne a généré trop d’intérêt pour le débat politique, et les idées de gauche, pour que nous retournions à la case départ.

Traduit de l’anglais par Jérémie Bédard-Wien