C’est presque 400 personnes qui se sont rassemblées à la Place Émilie-Gamelin à l’occasion de la première marche pour les droits des personnes trans (transsexuelles, transgenres). Composée en grande majorité de personnes trans, en plus de plusieurs allié.e.s, la foule était définitivement prête à déferler dans les rues de Montréal.

Organisée par le collectif Participes, un regroupement de jeunes personnes trans fondé il y a quelques mois, la marche s’est tenue dans le cadre des célébrations de la fierté gaie. Très tôt dimanche, une dizaine de jeunes s’activaient à la maison des jeunes LGBTQ (lesbiennes, gais, bisexuel.le.s, trans, queer) l’Astérisq, en préparant pancartes, tracts, slogans et discours en vue de la marche de l’après-midi.

Nous marchons parce que les procédures de changement de nom et de mention de sexe sont discriminatoires.

« Nous marchons parce que les procédures de changement de nom et de mention de sexe sont discriminatoires. Elles causent la marginalisation des personnes trans, qui ne peuvent avoir des pièces d’identité adéquates sans satisfaire des critères inacceptables », a déclaré Caroline Trottier-Gascon, l’une des porte-paroles de la marche. Elle explique qu’en ce moment, afin d’avoir accès à une mention de changement de sexe et de nom auprès du directeur de l’état civil, il faut subir des traitements médicaux, avoir 18 ans, être citoyen.ne canadien.ne, et obtenir beaucoup de documents, qui demandent souvent de nombreux retours et échanges. Il s’agit d’un processus long, qui coûte environ 1000$.

Pourtant, l’adoption du projet de loi 35 en décembre 2013 par le gouvernement provincial vise à alléger et faciliter les procédures d’enregistrement de l’identité des personnes trans auprès du directeur de l’état civil. Presque neuf mois plus tard, sans raison valable apparente, seules les clauses du projet relatives aux personnes trans ne sont toujours pas mises en application. C’est entre autres ce que décrient les communautés trans.

«Il y a également d’autres conséquences. Si une personne est en transition, mais n’a pas changé sa mention de sexe ou de nom, il se peut qu’il soit difficile pour ces personnes de trouver un travail, qu’il y ait des complications afin de trouver un logement, des refus d’obtenir des soins de santé », explique Esteban, un jeune trans de 18 ans. « On voudrait que le changement de nom soit accessible aux mineurs, notamment pour les jeunes qui sont en centre jeunesse puissent vivre dans la section adéquate », ajoute-t-il.

«Des hormones et des papiers, c’est pas compliqué », scandent les trans au long des rues de Montréal.

« Des hormones et des papiers, c’est pas compliqué », scandent les trans au long des rues de Montréal. Les revendications de la marche? La mise en application immédiate du projet de loi 35, un changement de nom et de mention de sexe sans pré-requis, par une déclaration sous serment ; des procédures accessibles aux personnes mineures de plus de 14 ans, et avec approbation des parents en bas de 14 ans, ainsi que des procédures accessibles aux résident.e.s permanent.e.s. »

Pour Gabrielle Bouchard, coordonnatrice de la défense des droits trans au Centre de lutte contre l’oppression des genres, c’est le directeur de l’état civil qui bloque le processus. « Présentement, il y a encore un cadre légal au Québec qui empêche les personnes trans d’avoir leur propre autonomie. On peut aussi ajouter les personnes inter sexes, qui sont médicalisées et modifiées par chirurgie dès la plus tendre enfance, juste parce qu’elles ne rentrent pas dans un cadre de pénis et de vagin. C’est un peu la même chose pour les personnes trans. Si on peut enlever le cadre légal et réglementaire, et enlever les pré-requis qui existent (hormones, chirurgie, stérilisation), on ouvre une porte à plusieurs autres possibilités, dont des négociations et de discussions avec plein d’organismes et d’institutions. Présentement, ces dernières disent «nous devons fonctionner comme ça parce que c’est la loi. Je n’ai pas le choix». Si on enlève le cadre législatif, on permet la capacitation des personnes trans », explique-t-elle.

Au Danemark, en Argentine et au Royaume-Uni, et au Canada, au Manitoba et en Colombie-Britannique, les procédures afin d’obtenir une mention de changement de sexe ou un changement de nom ont été allégées et cela semble bien fonctionner, d’après Mme Bouchard. Elle s’explique mal le retard du Québec.

« Le bureau de l’état civil joue un grand rôle dans la ‘genrification’ de notre société, en voulant tout garder dans des cases. Si on regarde le nombre de refus de changement de nom et de changement de mention de sexe qui sont faites, et ce, malgré des preuves d’opérations, ça semble clair que c’est là que le bât blesse. Il est difficile de déterminer pourquoi ça bloque, entre autres parce qu’il n’y a pas de dialogue avec le directeur de l’état civil. Il refuse de nous parler. Même les demandes d’accès à l’information sont difficiles. Pour moi, il est clair qu’il y a une là une transphobie institutionnelle », explique la militante.

Il reste du travail à faire pour sensibiliser le public ainsi que les institutions aux enjeux vécus par les personnes trans, mais elles constatent tout de même certaines avancées, dans la société civile autant que dans l’espace public.

On aurait pas vu ça il y a cinq ans, parce qu’on se disait qu’il y avait trop de discrimination. Aujourd’hui, il y a assez de solidarité pour qu’on puisse le faire.

C’est quand même une belle année pour les communautés trans, avec l’adoption du projet de loi 35, et des exemples internationaux comme l’actrice Laverne Cox [NDLR: une actrice américaine trans qui connait la gloire cette année], et c’est pour cela qu’on avait envie d’y participer », confie Caroline Trottier-Gascon. Même son de cloche chez Mme Bouchard. « Il y a de plus en plus de personnes trans dans les médias, et de plus en plus qui se sentent à l’aise de parler de leur expérience. Juste l’organisation de la marche d’aujourd’hui, qui est organisée par plein de jeunes trans et non trans qui se disent qu’ils et elles ont le droit d’organiser une telle marche ; on aurait pas vu ça il y a cinq ans, parce qu’on se disait qu’il y avait trop de discrimination. Aujourd’hui, il y a assez de solidarité pour qu’on puisse le faire. C’est génial. »

« Mon identité n’est pas une maladie », « Certaines personnes sont nées dans leur corps, d’autres doivent se battre pour l’avoir », « Les droits trans sont des droits humains », peut-on voir sur les pancartes de la marche, qui s’est terminée par un die-in devant le bureau du directeur de l’état civil.

Il a été impossible de rejoindre le bureau du directeur de l’état civil afin d’obtenir des explications sur l’application bancale des clauses relatives aux personnes trans dans le projet de loi 35.