M. David Ouellette, Directeur associé aux affaires publiques du Centre consultatif des relations juives et israéliennes, intervient dans Le Devoir du lundi 4 août en s’en prenant à la lettre modérée, équilibrée et pacifiste que nous avons rédigée et fait signer en 48 heures par plus de 130 intellectuels québécois. Le titre de son article est : « La faillite morale des intellectuels québécois ». Si les auteurs et les cosignataires de la lettre sont tous affligés d’une faillite morale, que dire de la morale de M. Ouellette qui appuie la politique d’un gouvernement dictée par des partis d’extrême-droite et des faucons?

Il ne faut pas se surprendre si son intervention partisane, politique et biaisée s’en tient à la « guerre », à l’identification de l’agresseur, aux intentions agressives du Hamas et au comportement de l’armée israélienne. Cela fait partie de la logique que le gouvernement Netanyahou (une coalition incluant l’extrême droite) cherche à imposer et que M. Ouellette reprend à son compte. Nous serions pris dans un conflit armé et aussi longtemps que c’est le cas, aucune discussion ne sera possible et aucune reconnaissance de l’interlocuteur palestinien ne sera requise. Et c’est tant mieux car, de cette manière, Israël pourra continuer à occuper illégalement le territoire de la Palestine et continuer à multiplier les colonies de peuplement dans le but désormais presque avoué de réaliser le rêve du Grand Israël (un État d’Israël s’étalant sur un territoire qui inclut une large partie de la Cisjordanie et une partie de la bande de Gaza).

Quand on en est rendu à cibler des ambulances, des hôpitaux, des écoles de l’ONU et des enfants sur des plages, c’est qu’on ne recule devant rien.

Il ne faut pas se laisser prendre par cette logique qui ramène tout au conflit armé, à la guerre et à la nécessaire riposte, mais il est néanmoins essentiel de souligner l’affirmation scandaleuse de M. Ouellette. Il écrit notamment : « aucune armée au monde ne prend autant de précautions qu’Israël pour épargner la population civile palestinienne ». En un sens c’est vrai, puisqu’aucune autre armée au monde n’est engagée dans une agression belliqueuse à l’endroit de la Palestine. Mais l’affirmation de M. Ouellette est tout de même totalement inacceptable. Après 26 jours d’offensive israélienne, on fait état de 1650 morts, la plupart des civils, incluant près de 400 enfants, et de plus de 8000 personnes blessées, sans compter les 200 000 personnes déplacées. Du côté israélien, on fait état de 64 soldats morts et de trois civils tués. À l’évidence, on ne peut plus parler d’«effets collatéraux» ici. Il s’agit bel et bien d’une entreprise délibérée et Tsahal est parfaitement conscient des conséquences tragiques qui découlent de ses frappes. Quand on en est rendu à cibler des ambulances, des hôpitaux, des écoles de l’ONU et des enfants sur des plages, c’est qu’on ne recule devant rien, y compris de commettre des crimes contre l’humanité, et ce, supposément pour en finir avec le Hamas.

Si on prend du recul et que l’on se sort ne serait-ce qu’un instant de cette logique de la « guerre », que le gouvernement de coalition de Netanyahou cherche à imposer, que constate-t-on? Tout d’abord, l’attaque de Tsahal contre Gaza est survenue au moment où le Hamas se joignait au Fatah pour tenter de reconstituer l’unité palestinienne. Cela, le gouvernement Netanyahou ne pouvait le tolérer, car il ne veut pas avoir à négocier, et il serait obligé de le faire s’il avait en face de lui un interlocuteur unique. Il ne veut pas avoir à négocier, parce qu’il ne veut pas d’un État palestinien, mais bien d’un Grand Israël.

Il fallait donc trouver un prétexte pour réenclencher un processus de guerre. Le meurtre des trois jeunes adolescents a offert à Netanyahou l’occasion qu’il cherchait : « le Hamas est responsable, dit-il, et le Hamas va payer ». Nous savons maintenant que le Hamas n’a jamais ordonné ces exécutions et que c’est une branche dissidente qui a perpétré ces crimes. Mais la vérité importe peu quand notre objectif est de réaliser le rêve du Grand Israël.

Ne seriez-vous pas désespérés et ne vous diriez-vous pas que vous n’avez plus rien à perdre?

Qu’en est-il du Hamas? Son idéologie religieuse, issue des Frères musulmans, est rétrograde et le refus explicite de ses leaders de reconnaître l’existence de l’État d’Israël ne peut être accepté. Les roquettes dirigées vers les populations civiles ne sont pas davantage acceptables. Le peuple d’Israël, autant que le peuple palestinien, a le droit de vivre en sécurité. Mais posez-vous un instant la question : si vous viviez à Gaza sans eau ou presque, la moitié du temps sans électricité, sous un blocus, sans accès aux terres arables, sans accès aux bonnes zones de pêche, sans accès au matériel pour reconstruire les bâtiments, avec 30% de chômage et des contrôles incessants, ne vivriez-vous pas cette situation comme une oppression violente insupportable? Ne seriez-vous pas désespérés et ne vous diriez-vous pas que vous n’avez plus rien à perdre?

Certains répondront que le blocus imposé à Gaza a été causée par l’arrivée du Hamas en 2006, dont les chefs disent à répétition qu’ils ne reconnaissent pas l’État d’Israël. Mais l’arrivée du Hamas est peut-être exactement la chose qu’Israël espérait. C’est sans doute l’une des raisons fondamentales pour lesquelles Israël s’est retiré de Gaza en 2005.

Sans occupation, colonisation, apartheid et blocus, le Hamas n’aurait plus autant de pertinence comme force de résistance.

Le Hamas n’est-il pas une organisation terroriste? Si cette expression est jugée appropriée pour le Hamas, elle est aussi appropriée pour le gouvernement de coalition de Benjamin Netanyahou car, dans les deux cas, nous avons affaire à des autorités politiques élues qui agressent des populations civiles, dans une disproportion, il est vrai, fort révélatrice. La force du Hamas est une conséquence directe de la politique de l’État d’Israël. Sans occupation, colonisation, apartheid et blocus, le Hamas n’aurait plus autant de pertinence comme force de résistance.

Nous citerons en conclusion le propos sage et lumineux de Norman Finkelstein, ce grand intellectuel juif américain, dont les deux parents sont morts à Auschwitz :

« Le refrain qu’on entend constamment selon lequel Israël a le droit de se défendre est une diversion. La vraie question est plutôt : est-ce qu’Israël a le droit d’utiliser la force pour maintenir une occupation illégale? La réponse est non. » (20 juillet 2014)